Le mal



Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

Tandis qu'une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !...

Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !



Introduction

Sonnet extrait des Poésies (1895), écrit lors de la guerre contre la Prusse (1870), il dénonce la guerre mais aussi la religion et le pouvoir. C’est un sonnet qui échappe à certaines règles classiques : les rimes des deux quatrains sont au nombre de quatre (et non deux), celles des tercets se placent à l’envers (classique : rime plate dans les deux premiers vers du premier tercet).


I. La dénonciation de la guerre


A. Description


La violence commence le poème : sous les « crachats rouges », les « bataillons » croulent « dans le feu », et sont broyés (v.5).
Champ lexical du bruit : « mitraille », « sifflent », « croulent », « raille ».
L’humain, en tant qu’individu vivant, n’est plus mais devient la « masse », se résume dans « cent milliers d’humains » qui fait un « un tas fumant », hyperbole très expressive.

B. Critique de la guerre


Personnification de la « folie épouvantable » qui tue les hommes.
Critique du pouvoir politique : « près du Roi qui les raille ».
Guerre contre-nature : elle défait l’œuvre de celle-ci.


II. Critique de la religion


A. Un dieu riche


Le dieu vit dans la richesse (poursuite de la critique du pouvoir : la société lui a offert ces richesses) : « nappes damassées des autels », « grands calices d'or », « gros sou lié dans leur mouchoir. » Au rouge du sang, on oppose l’or du dieu ; à l’encens, le « tas fumant ».
Sur ce thème, voir les critiques de la société bourgeoise dans d’autres poèmes.


B. Un dieu inhumain et complice


Il « rit » (/ « raille ») puis « s’endort », bercé par les louages des mères (« hosannah »), sans écouter leurs angoisses pour leurs fils, et ne se réveille que pour prendre un salaire immérité.
« Un dieu » montre bien qu’il est indéterminé, que l’homme ne le connaît pas.


III. Valorisation de la nature


A. La nature oppositive


La nature (dans le poème, au début du vers avec un N majuscule) s’oppose au groupe guerre-roi-dieu. La nature a fait les hommes « saintement », plutôt que dieu, témoin de la guerre et complice lui aussi. Analyser le traitement, ici aussi, des couleurs : bleu / rouge, écarlate, feu / vert (couleurs de certaines uniformes) / l’or.
Le « ciel bleu » peut se voir de deux façons : symbole de la religion, du dieu (ou de l’idéal en général > symbolisme), ou comme participant à la joie de la nature (« été » : « herbe » verte, « ciel bleu »).


B. Les mères


A elle se joignent les « mères » : opposition génération – destruction.
Celles-ci, pour la nature qui semble plus indifférente (« dans ta joie » malgré le carnage), manifestent la vie et l’angoisse que leur porte la guerre.





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