Ma bohème (1870)


Écrit par Arthur Rimbaud à l'âge de 16 ans, Ma Bohème évoque une ou plusieurs de ses fugues.

  
                                                     Ma bohème

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot soudain devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !



I. L’errance indigente


A. La terre des pieds


Le titre d’abord évoque le voyage, qui se fait à pied. La terre est en général opposée au ciel, mais la « voyance » rimbaldienne, liée à la sensation, autant mettra le poète au milieu « des ombres fantastiques ». Les « souliers blessés » reflètent un long périple, une longue « course ».


B. L’insouciance


Le voyage n’a ni destination ni contrainte de temps (usage de l’imparfait, valeur durative). « Je m’en allais » ne donne en effet nulle autre précision que la marche (qui peut prendre la connotation de fuite) seulement sait son point de départ. « J’allais » (v.3) au contraire ne montre rien d’autre que le déplacement.

Le poète ne se soucie du confort non idéal et rêve : « poches crevées », « large trou », « auberge », « assis au bord des routes », « comme un vin de vigueur », s’opposent au « Petit-Poucet rêveur » qui rime.


II. Le voyage est celui du poète


A. Le temps : la nuit


Loin de « l’azur » symbole de religieuse clarté et de distance infinie entre l’homme et son idéal, le temps est à la nuit. Les « étoiles », la « Grande-Ourse » allègent la difficulté matérielle du voyage à terre.

Plus encore, elles sont complices de la création poétique, avec la nuit, puisque l’auteur « les écoutait », « rimant au milieu des ombres fantastiques », et peut ouvrir un monde de nouvelles sensations (« je sentais »).


B. Du cœur : rapprochement de la terre et du ciel


Habituels à leur époque, les derniers vers rapprochent l’idéal — ici symbolisé par le ciel étoilé — et le réel, la terre.
Pour ce faire, le poète a recours à une comparaison osée : la lyre — symbole antique de l’inspiration, du talent musical, de la beauté, attribut d’Apollon, d’Hermès, de la muse Érato — avec les « élastiques » de ses souliers, — image presque ordurière.




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