Écrit par Arthur Rimbaud à l'âge de 16 ans, Ma Bohème
évoque une ou plusieurs de ses fugues.
Ma bohème
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot soudain devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
I. L’errance indigente
A. La terre des pieds
Le titre d’abord évoque le voyage, qui se fait à pied. La
terre est en général opposée au ciel, mais la « voyance » rimbaldienne, liée à la sensation, autant mettra le poète au milieu « des
ombres fantastiques ». Les « souliers blessés » reflètent un
long périple, une longue « course ».
B. L’insouciance
Le voyage n’a ni destination ni contrainte de temps
(usage de l’imparfait, valeur durative). « Je m’en allais » ne donne
en effet nulle autre précision que la marche (qui peut prendre la connotation
de fuite) seulement sait son point de départ. « J’allais » (v.3) au
contraire ne montre rien d’autre que le déplacement.
Le poète ne se soucie du confort non idéal et rêve :
« poches crevées », « large trou », « auberge »,
« assis au bord des routes », « comme un vin de vigueur »,
s’opposent au « Petit-Poucet rêveur » qui rime.
II. Le voyage est celui du poète
A. Le temps : la nuit
Loin de « l’azur » symbole de religieuse clarté
et de distance infinie entre l’homme et son idéal, le temps est à la nuit. Les
« étoiles », la « Grande-Ourse » allègent la difficulté
matérielle du voyage à terre.
Plus encore, elles sont complices de la création
poétique, avec la nuit, puisque l’auteur « les écoutait »,
« rimant au milieu des ombres fantastiques », et peut ouvrir un monde
de nouvelles sensations (« je sentais »).
B. Du cœur : rapprochement de la terre et du ciel
Habituels à leur époque, les derniers vers rapprochent
l’idéal — ici symbolisé par le ciel étoilé — et le réel, la terre.
Pour ce faire, le poète a recours à une comparaison
osée : la lyre — symbole antique de l’inspiration, du talent musical, de
la beauté, attribut d’Apollon, d’Hermès, de la muse Érato — avec les
« élastiques » de ses souliers, — image presque ordurière.
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